Au-delà de ce qui a déjà été dit précédemment, dans un premier texte, il me semble primordial pour moi « d’enfoncer le clou » en reparlant du rôle néfaste qu’a joué l’Éducation Nationale dans mon développement d’acquis, toutes disciplines confondues.
En effet, comment peut-on se retrouver, à l’âge de 15 ans, toujours en classe de CM2 ?
D’une année scolaire à l’autre, au fil des déménagements, j’ai dû subir 4 redoublements dans cette même classe !
C’est ainsi que, de maîtres en maîtresse, M. Joly à Dieulefit, M. Beuzelin à Saint-Martin-d’Hères, M. Maleval et Mme Chaudier à Tournon, ont été responsables, au nom de l’Éducation Nationale, de me laisser avec je-m’en-foutisme sur le bas-côté de la route…
Pour quelle raison, sans doute par le fait qu’ils avaient décelé en moi que j’étais irrécupérable dans le système éducatif traditionnel.
Vis-à-vis de moi, M. Joly et ses 3 compères ne m’ont jamais apprécié.
Ce M. Joly, avec une méthode autoritaire, enseignait sans me demander quoi que ce soit, j’étais dans mon coin, sans rien comprendre.
M. Beuzelin, lui, ne voulait pas perturber sa classe entre les bons et les mauvais élèves. Ainsi, c’est avec une certaine forme de tranquillité que je me trouvais bien dans sa classe…
M. Maleval, malgré une certaine dose de sévérité, abandonnait très vite les mauvais élèves pour se consacrer pleinement aux meilleurs…
Quant à Mme Chaudier, avec ma réputation de « bon à rien », elle me laissa à l’abandon tout au long de l’année scolaire !
Elle m’appela une fois dans l’année au tableau pour résoudre un problème de mathématique et malgré le concours d’un copain du 1er rang (lequel me souffla la réponse), je ne comprenais rien à ce que je venais de faire !
Ma hantise, sur ces 4 années, était que je me fasse appeler pour répondre à des questions.
C’est pourquoi je me recroquevillais sur moi-même, me faisant le plus discret possible afin, pour ainsi dire, de dissimuler mon inculture.
Dans ce contexte, le CM2 a pour but de valider des acquis dans toutes les disciplines avant l’entrée en 6e.
Pour moi, j’en étais très loin…
Ainsi, à ma grande honte, lors d’une visite à la fin d’un trimestre à Dieulefit, figurait au mur le classement des élèves. Mon père se dirigea vers cette liste et s’aperçut que j’étais le dernier avec une note de 0/20 (il ne m’en parla pas).
À Saint-Martin-d’Hères, c’est à côté de mon frère que j’appris par un copain qui, à vélo, se mit à crier que là aussi, ma note trimestrielle était de 0/20.
Je ne me rappelle plus des notes obtenues à Tournon…
Sortant de la classe de Mme Chaudier, je ne savais pas grand-chose, dans tous les domaines d’apprentissage du primaire, comme résoudre un problème de mathématique, faire une division, écrire une phrase correctement…
En plus, il y avait la différence d’âge, le CM2 commençait à 9 ans jusqu’à 11 ans.
Au-delà d’être retardataire, avec ma grande taille, je devenais « la tête de Turc » de certains, plus jeunes, plus intelligents, et surtout à leur place dans cette classe.
Ce CM2 restera pour moi, dans le passage de l’enfance à l’adolescence, un handicap intellectuel, que je porte encore sur mes épaules…
À 15 ans, l’Éducation Nationale avec son beau discours sur « l’ascension sociale » se débarrassa de ma personne en m’orientant en classe de CPPN (Classe Pré-Professionnelle De Niveau, qui n’existe plus aujourd’hui).
Dans le public, cette classe selon les dires de certains maîtres était faite pour « les débiles mentaux ».
C’est alors que l’on me dirigea dans une CPPN qui se trouvait dans le privé, à Valence. Ce fut une année merveilleuse sur le plan de l’enseignement et des rencontres, puisque l’on m’apprit enfin certaines bases non reçues dans le primaire.
Hélas, la CPPN ne durait qu’une année.
Après il y eut à nouveau un vide, une inscription dans un lycée à Valence pour apprendre le secrétariat, quelle idée !
Une nouvelle interruption dans le système scolaire, la rencontre avec des psychologues pour des tests de personnalité…
De 17 ans à 18 ans, je restais chez moi, en faisant du modélisme et en fréquentant la bibliothèque. Je me souviens de mes premiers livres achetés, « Les enfants terribles » de Jean Cocteau (au-delà du texte, j’appréciais beaucoup ses dessins), « Le tour de France de deux enfants » ou bien encore, « Vipère au poing » d’Hervé Bazin.
Enfin, je devins admiratif devant l’œuvre tout entière – éditée en J’ai lu – de Bernard Clavel.
Je trouvais là un auteur avec lequel je pouvais dialoguer…
Par la télévision, je découvris les films de François Truffaut, « Les quatre cents coups », « Baisers volés ». Là aussi, je fus très sensible à son regard de cinéaste sur l’enfance, les relations amoureuses, « L’amour en fuite ».
Je regardais des ouvrages sur le Commandant Cousteau, l’astronomie, les volcanologues Krafft, et enfin une bouffée d’air avec le livre sur la vie de Roger Frison-Roche.
Je collectionnais les timbres ; en les classant, j’appris un peu l’histoire de l’art, la géographie, les personnages célèbres, etc.
J.-C., grand supporter de l’ASSE, me prêta des livres sur J.-M. Larqué, D. Rocheteau, Y. Curkovic… mes idoles du moment !
J’écoutais énormément la radio, notamment RMC, J.-P. Foucault et Léon et le Hit-Parade sur Europe 1 présenté par Jean-Loup Lafont.
Les chansons de variété française entraient mieux que les leçons dans ma tête !
Plus tard, grâce au concours de mon frère, je découvris dans une émission de France Inter animée par J.L. Foulquier, des artistes en marge pour l’époque, tels que J. Higelin, chanteur surréaliste, B. Lavilliers, ouvrier, boxeur et ancien taulard. F. Lalanne, A. Bashung, L. Beausonge etc.
J’étais loin de la réalité scolaire, mais je retenais mieux ces textes que les poèmes de l’Éducation Nationale…
Et puis, une libération, des cours de dessin à Valence chez Mme Poupart Dedole, la constitution d’un dossier présenté à Daniel Vassart, peintre et professeur aux Beaux-Arts de Valence, disparu, hélas depuis longtemps, qui me reçut avec beaucoup de gentillesse.
Des concours ratés à Valence et à Grenoble, pour être finalement reçu en année préparatoire, à 18 ans, aux Beaux-Arts de Troyes, durant une année, avant de rentrer à 19 ans, pour quatre ans, à l’École Régionale des Beaux-Arts de Mâcon.
Pour ce premier examen, il fallait réaliser, avec des bouchons en liège, des éponges et d’autres matériaux, une sculpture.
L’épreuve écrite consistait en la rédaction d’un sujet relatif à l’histoire de l’art.
Et enfin, l’entretien sur présentation d’un dossier devant les professeurs (qui se termina fort tard, étant donné le nombre important d’élèves à postuler).
C’est durant cette attente que je sympathisai avec Philippe, ou encore O.R., Bob…
En étant accepté comme étudiant, je franchissais là une étape en partant de 0 (sans que personne ne connaisse mon parcours du CM2 à l’ERBAM).
Ces quatre années furent d’énormes sacrifices financiers puisque je voulais arriver au bout de ce cursus. (Prêts bancaires obligés, car j’étais non boursier, et travail en usine l’été).
Sur le plan des études, il y eut des moments de complexe, dans certains domaines, mais c’est tous ensemble que nous débattions sur l’art contemporain, principalement tous les lundis, avec J.-L. M., abordant, au travers de la philosophie, l’étude des médias, la peinture, la sculpture, les installations, pour répondre à ces interrogations.
Avec un enseignement très engagé, grâce à J.-L. M., C.G. et J.C.G., nous complétions, par la pratique, les matières abordées ci-dessus, avec un sens de la pédagogie aigu.
C’est ainsi qu’en découvrant l’art conceptuel, l’art minimal, l’arte povera, des noms d’artistes reviennent, comme R. Morris, D. Judd, M. Merz, BMPT (BurenMossetParmentierToroni).
En audio-visuel, tous les jeudis, avec P.P., nous découvrîmes l’histoire des médias, avec me semble-t-il de la réserve sur l’œuvre de J.-L. Godard ?
On me donna la chance de participer au montage, au Nouveau Musée de Villeurbanne, avec N.G. et A.K., de l’exposition « L’Art et le temps ».
À la fin de cette première année, Philippe et moi étions les seuls à obtenir nos 10 U de V. Nous passâmes en seconde année pour finir le cursus dans son ensemble.
Plus tard, des artistes comme Jacqueline Dauriac, Ange Leccia, Richard Deacon, Bertrand Lavier avec son « n° 5 de Chanel sur Shalimar » (mélange des deux parfums) dans la grande salle d’exposition de l’école, qui laissa longtemps son odeur jusque dans la machine à café…
M. Besson (critique d’art régional) venait à l’ERBAM pour voir l’étendue de nos recherches. Il se mit à critiquer fortement mon travail, à un tel point que je quittai l’école pendant une semaine, (pour une dépression, déjà à l’époque, et me soigner avec du prozac) tant ses commentaires étaient – avec du recul – exagérés.
Malgré le fait que je ne me sentais pas très bien dans cette école, il demeurait en moi une certaine idée de transparence – déjà évoquée dans un texte – vis-à-vis de certains étudiants ou bien du corps enseignant.
Après cela, avec du recul, je retournai à Mâcon, pour mieux m’épanouir par la réalisation de travaux toujours en référence à des artistes et à un mouvement proche de ma sensibilité (Supports/Surfaces) mettant en place une démarche sur la « déconstruction » de la peinture, en récupérant et en fabriquant des caisses, puis en réalisant un paravent (mis en scène et photographié, au Musée des Ursulines, avec le concours de Philippe), des fenêtres, une porte avec un rideau coloré en plastique, étant donné que je n’arrivais pas à mettre de la couleur sur mes toiles, il fallait que je trouve d’autres moyens pour arriver à mes fins.
Tout ça en référence à une autobiographie au travers de laquelle je me sentais en parfaite harmonie pour présenter, dans sa suite logique, mon diplôme, portant le titre de la mise à nu de la peinture (descriptif sur le site).
Ce jour-là, dans le jury, figurait E. Dietman, qui en voyant mon travail, me dit avec violence que « c’était de la merde ».
C’est alors que je lui demandai ce qu’il faisait à 22 ans.
Nous en restâmes là, et j’obtins le diplôme Espace et Sculpture…
C’est dans ce cadre-là, sur ces 4 ans, que je fus amené à comprendre comment mettre en place une réflexion et avoir un sens critique sur l’art et la société.
Durant ces années, avec Lolo, notre technicien, Philippe et moi partagions le même atelier, échangeant au quotidien sur notre travail, pour arriver à une synthèse commune.
Je me rappelle seulement d’une petite partie de son travail, que je vais essayer de retranscrire par ces quelques mots.
La première pièce était réalisée avec 3 cadres en aluminium à l’intérieur desquels se trouvaient des branches d’arbres récupérées chez M.L., puis taillées dans un square sous le soleil de Mâcon et enfin colorées en vert, bleu, jaune.
Déjà, son engagement était total, puisque je me souviens que ce travail lui revenait à 600 F.
Une autre pièce significative de sa démarche, des traverses de chemin de fer que nous étions allés chercher à la gare, sans le concours de personne pour les installer selon « la fuite de Fibonacci », recouvertes de papier goudronné (nous n’étions qu’en 2e année).
Après, son travail se développa, par la fabrication de grenades moulées en plâtre, des plaques de plomb avec l’impact de la balle du tireur niché à l’intérieur, puis avec du verre, comme support, relié par des câbles fragmentés par le tir d’une arme à feu.
Enfin, cette belle peinture, saturée en colle de peau et, avec son propre sang, le traçage d’un chemin ?
Je me souviens de la moquerie de C.G. en me voyant verser quelques larmes parce que Philippe n’avait pas eu son diplôme, alors qu’il le méritait le plus parmi les 5 candidats que nous étions.
Une nouvelle étape intervient, ici, dans mon travail autobiographique, « Leurre du départ ».
Pour resituer le contexte de l’époque (déjà évoqué dans les premières pages de ce texte), une fois par semaine nous écrivions à nos familles.
C’est en retrouvant quelques lettres de la période 1974/1980 que j’ai décidé de prendre comme moyen d’écriture l’alphabet des pâtes Panzani collées sur des ardoises (évoquant pour chacun d’entre nous notre enfance et notre vie scolaire).
J’ai respecté les fautes d’orthographe et le contenu des courriers, en constatant, à la lecture de ces derniers, le peu d’imagination pour communiquer avec mes parents et mon frère, principales personnes à qui je donnais de mes nouvelles.
Dans l’autre sens, je ne recevais aucun courrier de personne…
Les mêmes mots, les mêmes phrases reviennent dans chaque correspondance, par manque de vocabulaire et difficultés à lire (selon un bilan scolaire retrouvé, établi en CE2).
Pourtant, nous avions des choses à raconter, sur les suggestions des animateurs…
Au regard d’un recensement, d’activités sportives, de la sortie tous les vendredis pour le marché, de l’exécution de travaux manuels, de promenades autour de Dieulefit, des visionnages de films, de la vie avec la maladie, nous n’écrivions que très peu par rapport à la réalité de ce que nous vivions, sur le moment, à « Réjaubert ».
La découverte de ces lettres oubliées a été pour moi l’occasion de me replonger dans ce passé, sorte de support mental à une vie retrouvée, où la séparation d’avec ma famille me frappait, en plein cœur, d’où beaucoup de tristesse, de solitude, de pleurs, à ne jamais oublier.