Assiettées

Ces phrases d’inspiration autobiographique sont à la source de jours vécus, seul à seul, face à des assiettes dont les contenus évoquent, par une reconstitution à base de pâtes alimentaires, des soliloques sur la faim :

« Mange ta soupe tu grandiras plus vite » / « Dégage de là c’est pas ta place » / Silence / Boire de l’eau pour couper sa faim / « Se serrer la ceinture » / J’ai faim / « Je vais t’en faire bouffer des pâtes »

Dans ces moments-là, la faim envahit le corps, le jeune âge aidant, permet d’avoir une certaine résistance, pour se confronter à ce manque…

Ça commence par le fait de sauter un repas, puis deux…

Par souci d’économie, poussé à « jongler », manger malgré tout, un bout de pain, de fromage, ou un bol de pâtes « Bolino » réchauffé à l’eau du robinet de la chambre d’un foyer, d’un hôtel…

Pour synthétiser ce sujet, que je trouve de nos jours de plus en plus revendicatif, cet extrait du livre « Septentrion » de Louis Calaferte.

« Ils vont bâfrer. Savoir que les autres vont se ruer sur la mangeaille me donne faim, la faim se répand, rayonne dans l’estomac, dans tout le corps, j’ai faim de partout, je suis un récipient vide, il n’y aura jamais assez à manger pour moi, j’ai faim, j’ai faim, l’idée de la faim ancrée dans la cervelle, les noms des plats, des légumes, des viandes m’assaillent en rafales, gigot aux haricots, le jus, le sang cuit qui ruisselle sous la tranchée du couteau ; spongieuse c’est à point épicé, le goût du mouton, la purée des haricots dans la bouche, et des patates, des pleines assiettes de patates, patates dorées au beurre, frites, au four, à l’eau, en garniture, un plat de patates chaudes et craquantes avec le steak saignant, épais, juteux, pulpe sous la dent, la saveur rouge, un bon bifteck ou autre chose, mais qu’il y en ait beaucoup, beaucoup, que je puisse en reprendre. J’ai faim. »