72 Dessins au crayon de couleur

Jacques Soulié est un artiste atypique, diplômé des Beaux-arts de Mâcon et lauréat du prix de peinture Jean-Michel Mourlot, il n’en reste pas moins hors des circuits traditionnels de l’art. C’est en solitaire qu’il explore les méandres de sa conscience, oscillant entre peinture et dessin, dans un travail dont la base reste autobiographique. Un homme flotte dans le ciel accroché à des visages nuages.
Ses dessins réalisés en 2005 et montrés pour leur première fois à la galerie Athanor, sont autant de saynètes, tantôt comiques, tantôt cruelles, hermétiques ou absurdes; qui associées entre elles participent d’ensembles plus larges, espaces où ce content des histoires improbables. Leur facture est d’une simplicité enfantine, laissant s’imprimer en premier plan leur contenu. Un polichinelle à double-tête de poisson.
« Je ne parvenais plus à peindre, j’avais besoin d’une traduction immédiate de mon ressenti, je me suis donc affranchi de l’enseignement du dessin académique pour me tourner vers une forme brute, un dessin avec de simples crayons de couleur tels que les utilisent les enfants ». Les yeux papillons. La peinture assujettie à la technique étant une démarche trop savante, l’artiste a recours à un dessin spontané, con­cis, qu’il qualifie volontiers de « naïf » afin de « supprimer l’intermédiaire qui le sépare de l’objet » . De cette manière, la scène d’un per­sonnage à table présente simultanément une vue en plongée et de côté, résolvant par la frontalité la question du volume et de la per­spective.
Dans le travail de Soulié, les choses, les per­sonnages, les objets ont une existence propre, inaccessible, ils ne sont pas véritablement ce qu’ils paraissent. Un parapluie pleureur. Les objets débordent sur les personnages, les façonnent, leur créant des excroissances, des continuités ; ou dans un mouvement contraire, c’est le personnage qui les couvent, qui les enceint. Les ensembles de saynètes suggèrent des fables, des contes aléatoires et sans fin. Les différents objets et événements qui habitent le dessin renvoient au quotidien ; ani­maux de compagnie, accessoires de sport et de loisir, ustensiles ; et sont convoqués dans un mouvement global par leur caractère ludique. Le perchoir en créoles. En effet, au mur, les saynètes cohabitent et dialoguent entre elles comme les cartes d’un Tarot hermétique.
L’artiste revendique l’héritage du surréalisme, de l’art naïf et de l’art brut. Dans la forme et le processus de création, les références à Victor Brauner et Carlo Zinelli sont omniprésentes. Il manie objets et signes avec virtuosité et sim­plicité dans la continuité de Magritte ou Paul Klee. Les éléments de ses dessins résistent et se délitent à la narration. Des lèvres partagées. En effet dans le travail de Soulié, il ne s’agit pas de récit, ce sont des pensées des entende­ments et des élucubrations. « Ce sont les mots que je n’ai pas pu mettre ». Une pie dans la tête. Les espaces que l’artiste met en œuvre souffrent d’eux-mêmes ils sont en tension, silencieux, contenant ou contenu, clos. Un vis­age fortifié.
L’écueil serait de faire une lecture symbolique du travail qui l’amputerait de sa richesse. En effet, ces objets, ces formes qui habitent les dessins sont d’avantage de l’ordre de l’ idéo­gramme, leur présence résistant à une lecture linéaire et il n’est pas d’autre direction que celle qui est guidée par les sens. Un visage se coupe la langue.
Ses objets ne s’expriment pas, ils posent, ils impriment. À travers eux l’artiste convoque les sens : le goût, le toucher, la vue. La question de l’équilibre fragile ou du déséquilibre est con­stante, il est physique et mental : l’homme évolue dans une roue comme un hamster, des flamands-hommes-roses se tiennent sur un pied, un personnage jongle avec des poissons, un autre joue au bilboquet avec le monde … Sous ses événements le sens chancelle, l’im­pression reste. La corde aux cous. Celle d’une figuration contenue.

Florent Joliot.

Galerie Athanor 5, rue de la Taulière 13006 04-91-33-83-46