De Fures dans l’Isère où nous habitions nous partons pour Dieulefit dans la Drôme.

Nous avions préparé longtemps à l’avance le trousseau de vêtements demandé avec les initiales « J.S. » pour la saison hivernale.

Durant tout le voyage j’ai crié « Je veux mon Mimi… Je veux mon Mimi… » Mon frère était resté à la maison.

Pour me calmer, nous faisons une pause dans un restaurant à Montélimar. Devant mon état, la patronne questionne mes parents et s’apitoie sur mon sort.

Les mots doux, les promesses de revenir au plus vite à la maison n’y changeaient rien.

Je souffrais déjà dans l’enfermement de l’habitacle de la R16 blanche que Pedro notre voisin nous avait prêtée. Nous étions allés au lavage automatique pour la faire briller.

Arrivés au domaine de « Réjaubert », Monsieur Besson le directeur nous accueillit avec beaucoup de gentillesse. Il compatit avec ma mère qui elle aussi pleurait.

Des larmes continuent à pleuvoir de tout mon corps tel un « saule pleureur ».

Une fois les présentations faites et les papiers remplis, nous nous dirigeons dans l’immensité du parc de Réjaubert et de ses 40 hectares pour le pavillon de « Chante cigale ».

On m’installa dans une chambre à six lits et devant ma détresse le moniteur demanda à mes parents de ne pas trop s’attarder. C’est en pleurs que tous les trois nous nous sommes séparés. Je restai assis sur le bord de mon lit, sans parler jusqu’à son retour. Il me donna les instructions pour le reste de la journée. Après avoir défait ma valise et en attendant d’aller me mettre en rang pour une activité sportive, je pensai à mes parents et à mon frère, à la voiture qui était repartie sans moi ; comme l’abandon d’un chien, l’été, au bord de la route… au lien cassé pour se sauver et retrouver sa famille.

À 15 heures nous sortons en rang pour du sport, en l’occurrence du football, principale distraction. J’étais le nouveau, on m’installa dans une des deux équipes, comme arrière gauche.

Comme j’étais trop statique, que je restais trop planté à attendre l’adversaire et le ballon, on décida de me faire passer gardien de but. J’arrivai à capter quelques ballons… Mais sans grand succès !

C’était l’époque de l’A.S.S.E. Saint-Etienne, le maillot vert « Manufrance » avec le numéro 8 de Jacques Santini. Nous étions équipés de chaussures à crampons et de chaussettes vertes et blanches. Ma prestation fut nulle.

À 15h45, l’heure du goûter arriva. On me donna dans le réfectoire une place à garder durant tout mon séjour. Il fallait prendre ce goûter, comme les autres repas, en silence.

À 16 heures, nous rentrons en classe. Une place était libre, celle du fond à gauche. On me l’attribua. Dès le départ, je ne comprenais rien à ce que le maître racontait en matière de français.

Je demeurais dans le silence. Je me taisais, ne levais pas la main pour essayer de faire répéter. J’étais plutôt content de ne pas être questionné car je savais que mes camarades se seraient moqués de moi si j’avais répondu à côté du sujet.

J’appréhendais déjà le lendemain avec les leçons de mathématiques.

17h30 arriva. Nous sommes sortis de la classe pour regagner toujours en silence nos chambres, et nous allonger ou bien jouer, aux osselets ou au «  Mille Bornes ». Ma famille me manquait, je me sentais perdu depuis le départ. Je ne pleurais plus. Un début de dialogue s’installa avec les cinq autres copains de la chambre.

À 18 heures, nous montions en salle de déclive : liés sur une planche la tête en bas, nous nous vidions les bronches en mollardant dans des crachoirs.

Le souper avait lieu à 18h30, accompagné par les prises de médicaments. Celui-ci terminé, vers les 19h15 nous regagnions nos chambres, avec du temps libre, sans avoir le droit de quitter son dortoir.

À 20 heures, la douche, les derniers médicaments, et à 21 heures l’extinction des feux.

R. notre camarade de chambre se montrait très souvent insolent avec la surveillante Madame R. Un soir, n’en pouvant plus, elle lui jeta à la figure l’un de ses escarpins.

R. revenait souvent vers nous pour nous proposer de « s’évader» du « Château », mais il ne mit jamais ses plans à exécution…

Dès le premier soir, je parlai tout seul et priai pour ma famille. Cela me rapprochait d’eux. Ce rituel se répétait tous les soirs avec les mêmes mots. Une fois ce récitatif terminé, je pouvais trouver le sommeil.

Le réveil se faisait à 6h55. Quand un des moniteurs était là, il nous laissait écouter des chansons « douces » de Maxime Le Forestier. L’infirmière prenait notre température. 7 heures, toilette aux vasques. 7h15, pliage des draps et couvertures, habillage, ouverture des fenêtres. 7h20, en rang pour le petit-déjeuner avec la prise de médicaments. 7h35, il fallait se brosser les dents. 7h45, relaxation – gymnastique et à 9 heures nous rentrions en classe pour ce fameux cours de mathématiques, ce que je redoutais le plus… Les opérations, les fractions, etc. Je ne comprenais toujours rien… Et le maître passait et repassait dans la classe sans rien me demander. Nous allions être quelques-uns dans ce cas à être ses « têtes de Turc ».

J’avais l’impression d’avoir la bouche cousue, tellement j’étais terrifié.

Je ne parlais pas mais l’idée de sortir ma langue pour me la faire couper alors que je n’étais pas bavard me faisait penser qu’il valait mieux que je me taise.

J’attendais donc avec impatience 10h30. Je regardais ma montre Kelton avec son fond orange. Sortir et prendre l’air ! Ce qui me manquait le plus.

11h30, nous regagnions nos chambres. Ce silence me poursuivait car je ne parlais que très rarement, tant aux adultes qu’aux autres camarades.
Après la sieste notre match de foot nous attendait. J’étais toujours dans les buts, et j’avais du mal à plonger pour attraper le ballon.

Pour Noël, il y avait un grand sapin. Les cadeaux étaient apportés la nuit du 24 au 25. Le 25 au matin, nous découvrions ce que nous avions commandé aux familles.

Les visites duraient un peu plus longtemps. Au mur la liste des élèves figurait du 1er au dernier. J’ai vu mon père se diriger vers cette sale liste et regarder que j’y étais le dernier, avec un 0/20 toutes disciplines confondues. Lors d’une visite, le maître parla à mon père de mon orientation. Classe d’apprentissage ou bien CCPN .
Il fallait commencer à y penser.

Nous déménagions souvent, Fures, Froges, Saint-Martin-d’Hères et Tournon. À chaque école, j’étais le nouveau et le dernier.

Ces séjours de soins d’entre trois et six mois sur une période de sept ans m’ont transporté souvent à Dieulefit, pour le traitement de toutes les affections chroniques et respiratoires.

Je cumulais l’asthme et la bronchite. Des tests de désensibilisation avaient conclu que j’étais sensible à la poussière de maison et aux acariens. Quand j’étais à Dieulefit, pour traiter ces problèmes de santé, nous nous rendions au « Château » voir le bon docteur Springer. Il fallait emprunter un chemin jusqu’à l’infirmerie… C’était une sorte de « pèlerinage ».

Quand nous arrivions nous sentions l’odeur de l’éther, les aiguilles et seringues étaient prêtes… Les « guêpes » préparaient nos bras. C’était là le seul toucher avec la peau d’une femme que nous ressentions en l’absence de nos mères. Nous regardions les machines radiographiques, l’installation fonctionnelle, l’aérosol et l’oxygène.

J’appréhendais les nuits, après ce récitatif toujours présent en moi. Les crises pouvaient arriver pour chacun d’entre nous. Les bruits d’étouffements, de sifflements, nous alertaient et nous allions réveiller le moniteur.

Quand j’étais à la maison, pour guérir de ces situations, il fallait « prendre de l’altitude », c’est alors que je montais sur les épaules de mon père pour faire « l’avion » et « changer les clignotants » de l’appareil. Nous redescendions victorieux dans cette nuit cauchemardesque.
À la maison, les quintes de toux arrivaient fréquemment. Ma mère faisait alors des cataplasmes avec de la moutarde et de la farine de lin. Elle étalait le tout sur un torchon très chaud et le déposait sur mes bronches afin d’endiguer les crises de toux qui me paralysaient au niveau de la cage thoracique, pour faire sortir de mon corps ces crachats qui encombraient mes voies respiratoires.

Au-delà de la séparation d’avec ma famille, celle d’avec ma mère dès l’âge de sept ans a conduit l’enfant que j’étais – au-delà de la maladie  – dans des épisodes de profonde solitude et de repli sur soi, tant au niveau des adultes que des gens de mon âge. Je continue aujourd’hui à payer ce retranchement dans ma vie d’adulte.

Je vivais dans l’idéalisation de l’image de ma  « mère » dans son univers, comme un couple « d’inséparables », éloignés quand j’ai eu sept ans pour la première fois. Il y a entre nous quelque chose de fusionnel, qui est différent de la tendresse que je portais à mon père de son vivant et à mon frère.

Les visites étaient organisées une fois par mois de 10 heures à 16 heures. À chaque fois, nous comptions les jours, les semaines et les mois qu’il me restait à faire. Mon père, lui, nous devançait sans rien dire durant notre promenade dans le parc.

Pour continuer à tisser le lien entre les enfants et leurs familles, tous les mercredis nous leur écrivions des banalités. « Chers parents, cher Mimi, nous irons au marché… » Tout ça sous l’œil du moniteur. Le règlement était dur. Cet endroit idyllique pour certains d’entre nous était pour moi un lieu « d’enfermement ». Durant mes études à l’École des Beaux-Arts de Mâcon, je symbolisai cette expérience de vie par la fabrication de caisses et de châssis entoilés de toile blanche, pour recréer la pureté des lieux.

Les années passaient et je revins avec un an de plus à Réjaubert, toujours au même niveau scolaire. C’est-à-dire NUL. Dans les villes que nous avions traversées lors de déménagements,  je reprenais en classe ma place trouvée à Dieulefit, au fond à gauche ou bien à droite. Tout le monde au niveau des enseignants se « foutait » de moi… J’étais « bon à rien ».

Malgré ma timidité, je me rapprochai de C. B. Nous jouions ensemble… Je répondais à une sorte d’amourette. C’est ainsi que je chassais des papillons pour elle. Mais tout cela était purement imaginatif…
Comme l’ont été toutes les autres…

J’offrais des bonbons à l’anis, des « petits pois lardons ». Comme cela les autres venaient vers moi.

Les trois mois de soins de ce premier séjour arrivaient à leur fin. On remonta ma valise. Je la remplis rapidement. Un dernier contrôle médical et les instructions pour le nouveau docteur qui allait me suivre à Tournon. Le dimanche à 10 heures mes parents étaient là. Monsieur Besson me donna un bon de sortie et me proposa en fonction de l’évolution de la maladie de venir passer l’été à Réjaubert. Sous contrôle médical, l’asthme et la bronchite s’étaient calmés.

Je fis l’année scolaire à Tournon dans la classe de Madame C. qui avait ses têtes. C’est ainsi que nous étions un groupe qu’elle ne pouvait pas voir. Madame C. proposa à mon père de m’orienter en CCPN, classe pour « débiles mentaux », propos déjà entendus dans la bouche d’autres maîtres…

Quelques années plus tard, l’été arriva, je repartis pour Dieulefit, dans le pavillon « Chedorge » pour les plus grands. Je retrouvai C. B. Nous avions grandi. Elle ne me reconnaissait pas alors que moi je ne l’avais pas oubliée et éprouvais des fantasmes d’adolescent. Elle jeta son dévolu sur F., un beau garçon, sportif et déjà séducteur.
Un jour, lors d’une sortie au-dessus de Dieulefit, tous les deux quittèrent le groupe. À leur retour, nous avions compris qu’il venait de lui faire perdre sa virginité. Quand ils arrivèrent dans le groupe les moniteurs eux aussi firent la même conclusion. Ces deux-là furent réprimandés, deux baffes partirent sur leurs joues… Nous sommes rentrés à Réjaubert en silence.

Timide, protégé, couvé comme l’œuf et son couteau qui devient dans le geste l’objet castrateur, tout comme cette opération subie du phimosis sans comprendre ce qui m’arrivait… pour plus tard assumer des relations sexuelles.

Les deux mois passés à Réjaubert il fallait rentrer à la maison. Scènes de ménage… Comment se situer ?

On m’inscrivit dans le privé à l’École Sainte-Anne pour faire mon année de CCPN. Pour la première fois j’ai été heureux d’aller à l’école. Hélas cela ne dura qu’une année. Après cette année, je restai à la maison sans rien faire… et puis un jour je découvris l’œuvre de Bernard Clavel. Il écrivait qu’il voulait dans sa jeunesse entrer aux Beaux-Arts de Lyon. C’est alors que je me suis mis à dessiner et prendre des cours dans un atelier à Valence.

Je présentai sans succès mon dossier à plusieurs écoles proches de chez moi. Puis je fus accepté. C’est ainsi que je partis à l’École des Beaux-Arts de Troyes.

Après cela, on me proposa de rentrer à l’École Régionale des Beaux-Arts de Mâcon. Je fus retenu et à dix-neuf ans je découvris, avec beaucoup de lacunes, l’art.

Tarascon, un soir comme les autres, devant la télévision. Tout à coup une voix me parle et me fait débiter des paroles sans cohérence. Il faut que je parle  – moi  à qui on a appris le silence  – ; je suis dans un état d’excitation, comme libéré d’un poids tel l’haltérophile qui détache ses boulets.

La voix me dit de sortir  – il est 22 heures –, il pleut beaucoup. Je sors sans ma mère qui me tend un parapluie d’où tombent des pleurs d’eau. À son tour, elle me rejoint. Je suis dans un état d’euphorie. Je ne réponds plus à « son autorité » quand elle insiste pour que je rentre me mettre à l’abri. Ses paroles sont vaines. La voix me dirige dans une rue où se trouve une cabine téléphonique. J’attends les ordres, un appel doit m’être transmis. Les minutes passent, j’ai toujours la voix en moi, ma mère s’impatiente, nous sommes les deux seules personnes dans Tarascon. Rien ne vient, on me dirige dans la ville, je continue à parler à ma mère avec le concours de la voix, tout en refusant de revenir à la maison. Nous sommes trempés tous les deux, en parlant avec la voix, je décide de me rapprocher de la maison. Je retrouve alors mon père désemparé qui nous attend.

Assis à la table, je leur tiens des discours sur les choses de la vie, des vérités et contre-vérités, je suis confus dans mes propos.

Après un long moment de tergiversations j’accepte d’aller m’allonger tout en passant une nuit blanche.

Le lendemain, nous partons pour Marseille voir le docteur de mon père. Dans la voiture, je suis heureux, je chante des chansons sentimentales d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy.

À Marseille, le docteur me reçoit, m’écoute, me prend la tension et me prescrit des médicaments  – sans m’envoyer voir un spécialiste à la vue de mon état.

De retour à Tarascon la voix me poursuit. Elle me dit de me rendre au square pour y déposer un beau stylo Cartier sur un banc bien précis.

Un artiste que j’apprécie, C. Z. passerait me voir dans ce parc. Il fallait seulement que je patiente.
Ma mère qui m’a vu sortir avec le stylo me suit et récupère le bel objet à mon insu.

Nous passons un moment sur le banc. En sortant du parc, je lui propose de s’asseoir en terrasse pour prendre un café, sans que je possède d’argent sur moi. J’insiste et grâce à la voix, j’ai la force de le faire… Mais devant ses mots, et son insistance, nous rentrons à la maison.

Durant cette période, il me semble que ma mère communique avec mon meilleur ami, P. Moi aussi, je l’ai au téléphone, je lui parle longtemps sans qu’il comprenne ce que je lui raconte, car tout ce qui sort de ma bouche est en désordre. La conversation est coupée ? Je le rappelle l’après-midi, et c’est ainsi que je lui parle du lieu dans lequel je travaille. Depuis plusieurs semaines, il me semble que je donne des cours d’art-thérapie à des personnes handicapées. Cela me perturbe. Il me conseille de joindre M.-C. Je lui téléphone. Elle ne comprend pas mon appel. Elle se trouve en période de deuil. J’insiste pour avoir des informations sur la nature de ce lieu et à juste titre elle me raccroche au nez.

Le même soir, on m’attend sur les ordres de la voix à Nîmes pour me confier un poste dans ce lieu d’art contemporain, Carré d’Art. Je suis impatient auprès de mon père qui doit me véhiculer à Nîmes. Les heures passent. Il refuse toujours que nous partions ensemble. Le voyage ne se fera pas, je suis déçu.

C’est ainsi que la voix me dit de détruire mes collections d’Art Press et de Beaux-Arts Magazine. Après ça, je me sens soulagé.

Descendant à Arles pour laver du linge, dans un champ tout vert tel un monochrome j’ai la vision de mon frère en train de chasser avec sa chienne Belle, qui le matin avant de partir était au garde-à-vous devant les bottes de son maître.
Dans cette laverie se trouvent deux « zonards ». Avec la voix, j’ai de l’assurance, je leur parle  – car nous évoquons le problème de l’argent. Dans la conversation je leur explique qu’à Marseille à la poste Colbert, il y a quelque temps, j’étais à deux doigts de voler de l’argent à une vieille dame. Elle attendait son tour au guichet, quand une liasse de billets est tombée de sa main. Je me suis baissé pour refaire mon lacet et mettre ma chaussure sur ces billets. À l’instant même, un monsieur qui se trouvait derrière dans la file prévient la dame que son argent venait de tomber. Elle ramasse alors ses billets en remerciant cette personne.
J’étais à cette époque fauché et j’étais prêt – malgré mon éducation – à commettre ce larcin.

Avant de regagner Tarascon, je fais une fixation avec la voix sur A., la personne avec qui je travaille.
(Elle a eu cette phrase réelle ou irréelle ? Quand on a des sentiments pour quelqu’un il faut le dire.)
Quelque temps avant, je lui avais confié Le Livre de l’Intranquillité de Fernando Pessoa. À l’intérieur de ce livre, des phrases ont été soulignées. Elles correspondent à ce que je ressens pour cette personne. Qui les a soulignées, elle, ou moi, dans mon délire ?
Ce livre je l’ai offert à mon voisin J. qui s’est suicidé pour des raisons inexpliquées.

Autre persécution avec la voix qui me faisait pleurer, la pédophilie. J’étais en relation avec un capitaine de gendarmerie, j’avais été abusé sexuellement. D’où ce personnage qui libère les escargots avec sur sa tête les deux-tons de la gendarmerie.
Autre image, cet homme qui suce une sucette réservée à l’enfant qui avec ses yeux verse des larmes…
Ce capitaine devait me joindre pour m’avertir qu’un virement bancaire de 400 000 F serait versé sur mon compte bancaire. C’est pourquoi je restais devant mon ordinateur.
Dans ces délires, est-ce l’association de la découverte de la sexualité par les plus grands de Réjaubert où quelques-uns montraient le fonctionnement de l’appareil génital… en pratique ou en fantasme ?

En arrivant à Pérols chez mon frère et ma belle-sœur, toujours en train d’écouter la voix, je regarde le journal télévisé ; le présentateur me fait voir l’image d’un potentiel agresseur… On me transporte alors à l’hôpital Lapeyronie de Montpellier.
De mon arrivée, des jours suivants, je ne me rappelle rien. Je suis soigné par des doses de médicaments très fortes. Il paraît que je peignais avec du dentifrice sur les vitres.
Je quittai Montpellier pour Arles, toujours en dehors de la réalité.
Dans un premier temps je suis allé à Trinquetaille, mais les conditions de vie n’étaient pas adéquates avec mon état de santé (c’est ce que l’on m’a expliqué plus tard).

Quelques jours après on me plaça à l’Unité Psychiatrique de l’Hôpital d’Arles. Un soir, une infirmière me demanda de nettoyer le réfectoire. J’acceptai à condition d’avoir un café ou des feuilles blanches. C’est à ce moment que je découvris où j’étais. Avec un peu plus de lucidité, je regagnai ma chambre. Je vis que quelqu’un avait cassé la porte. Cette nuit-là, il y eut du bruit. J’ai paniqué. Je me suis mis à déplacer mon lit, l’armoire, la chaise et la table. Il fallait que je me protège. Quand les surveillants sont passés – alertés par le bruit que je causais – ils m’ont demandé pourquoi j’avais fait cela. Je leur répondis que j’avais peur à cause du trou, que quelqu’un rentre dans la chambre… En me parlant, ils ont réussi à me calmer et à remettre le mobilier en place.
Le lendemain le docteur est venu me voir pour savoir pourquoi j’avais fait tout ça. Ma seule réponse était que j’avais eu très peur et que je cherchais à me protéger. Contre qui ? Contre quoi ?

Parmi les malades, un homme soliloquait… Comme moi il y a longtemps en parlant à Dieu. Un autre pour respirer luttait avec son ventre. Quant à moi, j’étais dans cet environnement observé par le personnel sans savoir quoi faire, en restant planté.

On m’a relâché trop tôt et une rechute se produisit à Tarascon. J’écoutais en boucle la chanson d’Alain Bashung « La nuit je mens ». La voix revenait sur certaines paroles comme « je prends des trains à travers la nuit » et « où subsiste encore ton écho ? » De quelle voix s’agissait-il ?
C’est alors que l’on me redescend à Arles, protestant que mes parents m’abandonnaient. Quelle peine pour eux.
Au bout de quelques jours, la posologie des médicaments a fini par faire effet. Le traitement qui était tellement lourd faisait que je me levais pour me recoucher, avec des difficultés pour marcher car j’avais pris du poids.

Mon dernier passage à l’hôpital psychiatrique de Nîmes remonte à 2005, pour des troubles de la persécution. Je devinai le danger et c’est moi qui me fis conduire dans cet établissement pour y être soigné, là où était ma place.

Que reste-t-il depuis 2002 à aujourd’hui dans le traitement des troubles bipolaires et des bouffées délirantes ? Un bon dosage des médicaments, le suivi par une médecin psychiatre et une psychologue, une bonne hygiène de vie, c’est ainsi que je gère au mieux cette maladie.
C’est aussi cette maladie qui me ramène à Dieulefit, à cette solitude et à cet enfermement vécus partout où je suis passé, mais qui me laissent espérer qu’en me soignant, je peux voir la vie autrement.

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